Le matérialisme scientifique Est-il « Presque certainement Faux »?
En matière de science, la nôtre est une époque paradoxale. D’une part, des physiciens éminents proclament qu’ils résolvent l’énigme de la réalité et, par conséquent, qu’ils remplacent enfin les mythes religieux de la création. C’est le message percutant de livres tels que The Grand Design des physiciens Stephen Hawking et Leonard Mlodinow et A Universe from Nothing de Lawrence Krauss. Un corollaire de cette vision triomphale est que la science résoudra inévitablement tous les autres mystères.
D’autre part, les limites de la science n’ont jamais été aussi flagrantes. Dans leur désespoir pour une « théorie de tout » – qui unifie la mécanique quantique et la relativité et explique l’origine et la structure de notre cosmos — les physiciens ont adopté des spéculations pseudo-scientifiques telles que les théories multi-univers et le principe anthropique (qui dit que l’univers doit être tel que nous l’observons pour être parce que sinon nous ne serions pas ici pour l’observer). Des domaines tels que les neurosciences, la psychologie évolutionniste et la génétique comportementale et la complexité sont loin d’être à la hauteur de leur battage médiatique.
Certains chercheurs, notamment le philosophe Thomas Nagel, sont si peu impressionnés par la science qu’ils remettent en question ses hypothèses fondamentales. Dans son nouveau livre Mind and Cosmos: Why the Materialist Neo-Darwinian Conception of Nature Is Almost Certainly False, Nagel soutient que les théories et méthodes scientifiques actuelles ne peuvent pas expliquer l’émergence de la vie en général et d’une espèce bipède à gros cerveau en particulier. Pour résoudre ces problèmes, affirme Nagel, la science a besoin « d’une révolution conceptuelle majeure », aussi radicale que celles précipitées par l’héliocentrisme, l’évolution et la relativité.
De nombreux experts appelant à une telle révolution colportent une sorte d’agenda religieux, qu’il soit chrétien ou New Age. Nagel est un athée, qui ne peut pas accepter Dieu comme réponse finale, et pourtant il fait écho à certaines critiques théologiques de la science. « Le réductionnisme physico-chimique », écrit-il, ne peut pas nous dire comment la matière s’est animée sur Terre il y a plus de trois milliards d’années; il ne peut pas non plus expliquer l’émergence chez nos ancêtres de la conscience, de la raison et de la moralité.
Les psychologues évolutionnistes invoquent la sélection naturelle pour expliquer les attributs remarquables de l’humanité, mais seulement de manière rétrospective et ondulée à la main, selon Nagel. Une véritable théorie de tout, suggère-t-il, devrait donner un sens au fait extraordinaire que l’univers « se réveille et prend conscience de lui-même. »En d’autres termes, la théorie devrait montrer que la vie, l’esprit, la morale et la raison étaient non seulement possibles, mais même inévitables, latents dans le cosmos depuis sa création explosive. Nagel admet qu’il n’a aucune idée de la forme que prendrait une telle théorie; son objectif est de souligner à quel point la science actuelle est loin d’y parvenir.
Je partage le point de vue de Nagel sur les insuffisances de la science. De plus, je suis fan de son travail, en particulier de son célèbre essai « Qu’est-ce que Ça fait d’être une chauve-souris? », une version originale du problème corps-esprit (qui a inspiré ma chronique « Qu’est-ce que ça fait d’être un chat? »). J’ai donc été un peu déçu par le style sec et abstrait de l’Esprit et du Cosmos. Le livre semble s’adresser principalement aux philosophes et aux scientifiques — c’est—à-dire aux professionnels – plutôt qu’aux lecteurs laïcs.
Nagel reconnaît que sa tentative d’imaginer un paradigme scientifique plus vaste est « beaucoup trop peu imaginative. »Il aurait pu produire un travail plus convaincant s’il s’était étendu plus largement dans son enquête sur les alternatives au dogme matérialiste. Par exemple, le théoricien de la complexité Stuart Kauffman a postulé l’existence d’une nouvelle force qui contrecarre la dérive universelle vers le désordre décrétée par la deuxième loi de la thermodynamique. Kauffman soupçonne que cette force anti-entropie pourrait expliquer l’émergence et l’évolution de la vie. Nagel mentionne la théorie de l' »auto-organisation » de Kauffman dans une note de bas de page, mais ne la développe pas. (J’ai critiqué le domaine de la recherche sur la complexité dans une chronique récente.)
Selon le physicien John Wheeler, la mécanique quantique implique que nos observations de la réalité influencent son déroulement. Nous vivons dans un « univers participatif », a proposé Wheeler, dans lequel l’esprit est aussi fondamental que la matière. Le philosophe David Chalmers, collègue de Nagel à l’Université de New York, conjecture que « l’information », qui émerge de certaines configurations et processus physiques et implique la conscience, est une composante fondamentale de la réalité, autant que le temps, l’espace, la matière et l’énergie.
Je n’ai jamais pris l’hypothèse de Chalmer au sérieux – en partie parce qu’elle implique que les fours à grille-pain pourraient être conscients — mais j’aurais apprécié l’avis de Nagel. (Pour une critique des idées de Wheeler et Chalmers, voir ma chronique « Pourquoi l’information ne peut pas être la base de la réalité. »)
Nagel aborde brièvement le libre arbitre, lorsqu’il suggère que nos choix moraux et esthétiques ne peuvent pas être réduits à des processus physiques, mais je m’attendais à un traitement plus approfondi du sujet. De nombreux scientifiques de premier plan, de Francis Crick à Hawking, ont soutenu que le libre arbitre est une illusion, autant que Dieu et les fantômes. Cette perspective, me semble-t-il, découle d’une vision étroite et hyper-réductrice de la causalité, à laquelle j’aurais souhaité que Nagel s’oppose plus vigoureusement.
Ces scrupules en plus, je recommande le livre de Nagel, qui sert de contrepoids indispensable à la position béate et consciente de nombreux scientifiques modernes. Hawking et Krauss affirment tous deux que la science a rendu la philosophie obsolète. En fait, nous avons plus que jamais besoin de philosophes, en particulier de sceptiques comme Socrate, Descartes, Thomas Kuhn et Nagel, qui cherchent à nous empêcher de nous enfermer dans la caverne de nos croyances.
Alerte Lehrer: Cette revue a été initialement publiée dans le journal canadien The Globe &Mail.