Virus Zika et malformations congénitales – Examen des preuves de causalité
Tableau 1. Tableau 1. Critères de Shepard pour la preuve de la tératogénicité chez l’Homme appliqués à la Relation entre l’infection par le virus Zika et la microcéphalie et d’autres Anomalies cérébrales.
En 1994, Thomas Shepard, un pionnier dans le domaine de la tératologie, a proposé un ensemble de sept critères de » preuve ” de la tératogénicité humaine (tableau 1) qui incorporaient les deux approches.9 Ces critères étaient un amalgame de critères élaborés par d’autres tératologues et guidés par des méthodes utilisées pour identifier les tératogènes antérieurs. Ces critères ont été utilisés pour guider les discussions sur la causalité dans les litiges liés à la tératologie30 et pour évaluer d’autres tératogènes potentiels.10 Nous avons utilisé les critères de Shepard9 comme cadre pour évaluer si les preuves actuellement disponibles appuient l’hypothèse selon laquelle l’infection prénatale par le virus Zika est une cause de microcéphalie et d’autres anomalies cérébrales (tableau 1).
Selon ces critères, la causalité est établie lorsque les critères 1, 3 et 4 (approche exposition rare– défaut rare) ou les critères 1, 2 et 3 (approche épidémiologique) sont remplis. Le premier critère stipule qu’une exposition prouvée à un agent doit se produire à un moment critique du développement prénatal. La microcéphalie sévère et d’autres anomalies cérébrales observées chez de nombreux nourrissons sont compatibles avec une infection survenant au premier ou au début du deuxième trimestre de la grossesse. Plusieurs rapports de cas et études ont montré que les femmes qui avaient des fœtus ou des nourrissons présentant des anomalies cérébrales congénitales que l’on croyait, sur la base des symptômes de la mère ou de la confirmation en laboratoire, être dues à une infection par le virus Zika ont été infectées au premier ou au début du deuxième trimestre de la grossesse, selon le moment des symptômes ou selon le moment du voyage dans une région où le virus Zika est endémique.14-20 Une analyse du moment de la transmission du virus Zika confirmée en laboratoire dans certains États du Brésil et de l’augmentation des cas de microcéphalie a identifié le premier trimestre comme la période critique pour l’infection.1 Les infections par le virus Zika survenant plus tard dans la grossesse ont été associées à une mauvaise croissance intra-utérine, à une mort fœtale ou, dans certaines grossesses, à des anomalies de l’imagerie prénatale qui n’ont pas encore été confirmées postnatalement car les grossesses sont en cours.14 Nous concluons que le premier critère de Shepard a été satisfait.
Le deuxième critère de Shepard exige que deux études épidémiologiques de haute qualité soutiennent l’association. Bien que les données écologiques ne soient pas nécessairement considérées comme une étude épidémiologique, les données du Brésil concernant l’association temporelle et géographique entre l’infection par le virus Zika et l’apparition ultérieure de nourrissons atteints de microcéphalie congénitale sont convaincantes.1,31,32 Deux études épidémiologiques apportent également leur soutien.2,14 Dans une étude menée pendant l’épidémie au Brésil, 88 femmes enceintes qui avaient eu une éruption cutanée au cours des 5 jours précédents ont été testées pour l’ARN du virus Zika. Parmi les 72 femmes ayant subi des tests positifs, 42 ont subi une échographie prénatale et des anomalies fœtales ont été observées chez 12 (29%); aucune des 16 femmes ayant subi des tests négatifs n’avait d’anomalies fœtales. Les anomalies observées à l’échographie variaient considérablement et certaines découvertes manquaient de confirmation postnatale car les grossesses étaient en cours.14
Une analyse rétrospective après l’éclosion de la maladie à virus Zika en Polynésie française en 2013-2014 a permis d’identifier huit cas de microcéphalie; les auteurs ont utilisé des données sérologiques et statistiques et une modélisation mathématique pour estimer que 1% des fœtus et des nouveau—nés nés de mères infectées par le virus Zika au cours du premier trimestre présentaient une microcéphalie2 – une prévalence qui était environ 50 fois plus élevée que la prévalence de base estimée. Cependant, cette estimation était basée sur de petits nombres, les intervalles de confiance étaient larges et le risque d’autres résultats indésirables (par exemple, d’autres anomalies cérébrales) n’a pas été évalué.2 Bien que ces études fournissent des preuves importantes à l’appui d’une relation causale entre le virus Zika et la microcéphalie et d’autres anomalies cérébrales, les deux présentent des limites notées par leurs auteurs, telles qu’un manque de contrôle des facteurs de confusion et un nombre relativement faible de cas, et elles ne répondent donc pas aux critères rigoureux fixés par Shepard. Ainsi, nous concluons que le deuxième critère de Shepard n’a pas encore été satisfait.
Le troisième critère, la délimitation minutieuse des cas cliniques avec la découverte d’un défaut ou d’un syndrome spécifique, semble être rempli. Les tératogènes antérieurs ont causé des malformations congénitales ou des syndromes spécifiques plutôt qu’un large éventail de malformations congénitales.33 De nombreux fœtus et nourrissons atteints d’une infection congénitale présumée par le virus Zika présentent un schéma typique, notamment une microcéphalie sévère, des calcifications intracrâniennes et d’autres anomalies cérébrales, parfois accompagnées de découvertes oculaires, d’une peau redondante du cuir chevelu, d’une arthrogrypose et d’un pied de masse15,20-23; de telles découvertes ont conduit les auteurs à utiliser le terme « syndrome congénital de Zika. »22,34,35 Sur la base des détails cliniques d’un nombre limité de cas, certains nourrissons atteints d’une infection congénitale présumée par le virus Zika présentaient des caractéristiques compatibles avec la séquence de perturbation du cerveau fœtal24, un phénotype impliquant le cerveau caractérisé par une microcéphalie sévère, des sutures crâniennes qui se chevauchent, un os occipital proéminent, une peau redondante du cuir chevelu et une déficience neurologique considérable.20,22 Par exemple, 11 des 35 nourrissons (31%) atteints de microcéphalie dont les cas ont été signalés à un registre du ministère brésilien de la Santé présentaient une peau excessive et redondante du cuir chevelu,20 une constatation qui n’est généralement pas observée dans d’autres formes de microcéphalie.36 Ces résultats suggèrent une interruption de la croissance cérébrale, mais pas de celle de la peau du cuir chevelu, après une blessure (par exemple, une infection virale, une hyperthermie ou une perturbation vasculaire) survenue après la formation initiale des structures cérébrales, suivie d’un effondrement partiel du crâne. La séquence de perturbation du cerveau fœtal est rare; seulement 20 cas ont été identifiés dans une revue de la littérature en 200124
Le quatrième critère de Shepard fait référence à l’association entre une exposition rare et une anomalie rare; nous concluons que ce critère a également été rempli. Le concept qui sous-tend ce critère est qu’un défaut rare survenant après une exposition rare pendant la grossesse implique une causalité en raison de l’improbable probabilité que les deux événements rares se produisent ensemble.10 La microcéphalie est un défaut rare qui, selon les estimations, survient chez 6 nourrissons pour 10 000 nourrissons nés vivants aux États-Unis.25 Le virus Zika ne serait pas une exposition rare chez les femmes vivant au Brésil pendant l’épidémie de virus Zika. Cependant, les rapports de résultats défavorables à la naissance chez les voyageurs qui n’ont passé qu’une période de temps limitée dans une région où la transmission du virus Zika est active concordent avec le fait que le virus Zika est une exposition rare.16,18,19
Un rapport récent est illustratif: une femme enceinte a voyagé pendant 7 jours au Mexique, au Guatemala et au Belize au cours de sa 11e semaine de gestation et a subi un test positif pour les anticorps immunoglobulines M (IgM) du virus Zika 4 semaines plus tard. Sur l’échographie fœtale et l’imagerie par résonance magnétique effectuées à 19 à 20 semaines de gestation, des anomalies cérébrales graves ont été diagnostiquées chez le fœtus et la grossesse a été interrompue à 21 semaines de gestation. La microcéphalie n’était pas présente au moment de l’interruption de la grossesse, mais la circonférence de la tête avait diminué, passant du 47e centile à 16 semaines de gestation au 24e centile à 20 semaines de gestation (une constatation qui concorde avec le moment de la diminution de la taille de la tête dans les cas précédents)14, ce qui suggère que la microcéphalie se serait développée chez le fœtus si la grossesse s’était poursuivie.16 Chez cette femme, le virus Zika serait considéré comme une exposition rare, et son fœtus avait un résultat rare.
Les trois derniers critères sont utiles s’ils sont présents, mais ils ne sont pas considérés comme essentiels. Le cinquième critère, la nécessité d’un modèle animal montrant une tératogénicité, n’a pas été satisfait. Bien que des modèles animaux aient montré que le virus Zika est neurotropique27,28 aucune étude portant sur la tératogénicité d’un modèle animal n’a été publiée, bien que des études soient en cours. Le sixième critère, à savoir que l’association doit avoir un sens biologique, est clairement rempli ici. D’autres infections virales ont eu des effets similaires (microcéphalie et problèmes oculaires).24,26 De plus, des preuves pathologiques confirment cette association: de l’ARN du virus Zika a été observé dans des cellules mononucléées endommagées (probablement des cellules gliales et des neurones) dans le cerveau de nouveau-nés atteints de microcéphalie17, et le virus semble être neurotrope.17,19 Le virus Zika vivant a été cultivé à partir du cerveau d’un fœtus présentant de graves anomalies cérébrales après une infection maternelle à 11 semaines de gestation.16 De plus, le virus Zika infecte efficacement les cellules progénitrices neurales et produit la mort cellulaire et une croissance anormale, fournissant ainsi un mécanisme possible de microcéphalie.29 Le septième critère, la preuve dans un système expérimental que l’agent agit dans un état inchangé, vise les médicaments ou les expositions chimiques et ne s’applique pas aux agents infectieux. Ainsi, compte tenu des critères de Shepard comme cadre, les critères 1, 3 et 4 ont été satisfaits — preuve jugée suffisante pour identifier un agent comme tératogène.