Qui était vraiment Atticus Finch ?
PEU de ROMANS ont eu un impact aussi grand ou aussi durable que To Kill a Mockingbird de Harper Lee. Publié à l’origine en 1960, le roman lauréat du prix Pulitzer s’est vendu à plus de 40 millions d’exemplaires et est l’un des livres les plus enseignés aux États-Unis.
Appelé par Oprah « notre roman national », son attrait dépasse néanmoins les frontières puisqu’il a été traduit dans plus de 40 langues. Il a été considéré comme le livre le plus inspirant de tous les temps par un sondage (battre la Bible), et selon une enquête britannique menée l’année dernière, c’est le livre le plus influent écrit par une femme à avoir « le plus influencé, façonné ou changé la vie des lecteurs. »
Ainsi, il n’est pas surprenant que la publication récente d’un deuxième roman très attendu de Harper LeeGo Go Set a Watchman, le manuscrit non édité qui a précédé To Kill a Mockingbirdwas ait été accueillie en grande pompe car il est devenu le livre le plus précommandé sur Amazon de tous les temps.
Mais avant même que la plupart des lecteurs aient reçu leur livre – et encore moins eu le temps de le lire – l’anticipation a tourné au choc, à l’horreur et à de nombreux débats alors que les gros titres proclamaient l’impensable: Atticus Finch, l’avocat blanc et juste dans Mockingbird qui résiste à un système d’injustice criminelle raciste et à un lynchage pour défendre le Noir injustement accusé Tom Robinson, est un raciste.
L’intensité du débat suscité par cette révélation en dit long sur l’enracinement de la figure de Atticus Finch est dans l’imaginaire littéraire national– et la manière presque surréaliste dont son personnage a été canonisé comme un saint du libéralisme, défenseur de la loi et symbole de tout ce qui est bon et décent dans ce pays.
En partie, cela est dû à la représentation phénoménale de Gregory Peck de lui dans le film de 1962 qui a gravé son personnage dans la mémoire populaire. Mais cela dit aussi quelque chose sur les limites politiques de Mockingbird.
RACONTÉ PAR Jean Louise Finch, mieux connu sous le nom de Scout, un enfant articulé de 6 ans, To Kill a Mockingbird couvre deux ans à Maycomb, Alabama– de 1933 à 1935. Pour Scout, son frère Jem et son ami Dill (basé sur l’ami d’enfance de Lee, Truman Capote), grandir signifie être de plus en plus en guerre avec le monde du sud de Jim Crow.
Malgré son puissant réquisitoire contre le racisme du Sud, To Kill a Mockingbird a été critiqué à juste titre pour son paternalisme: Alors qu’Atticus est déifié, des personnages noirs tels que Tom Robinson et Calpurnia reçoivent rarement autant de profondeur, de complexité ou d’autorité dans le roman.
Revue: Livres
Harper Lee, Va mettre un gardien. HarperCollins, 2015, 288 pages, 27,99 $.
En particulier, Tom Robinson – dont le nom reflète son rôle d’un des « oiseaux chanteurs » dans le roman – est dépeint uniquement comme victime. Même sa comparaison symbolique avec l’oiseau moqueur ou l’oiseau chanteur – un symbole d’innocence dans le roman – peut être lue comme quelque peu condescendante, lui refusant toute agence ou tout potentiel de lutte ou de résistance politique. En ce sens, le titre lui-même reflète les limites du roman dans lequel la lutte contre le racisme est avant tout figurée comme morale.
Le fait que le principal croisé moral du roman s’avère être un raciste dans Go Set a Watchman semble donc d’autant plus choquant, bien que les deux Attiques ne soient pas intrinsèquement opposés.
Il est à noter que son personnage n’a jamais été aussi saint, juste ou antiraciste que les cris de « Pas Atticus! »semble impliquer. Dans Mockingbird, Atticus n’est pas Clarence Darrow. Comme le note Randall Kennedy, citant un article de 1992 de Monroe Freedman, il prend l’affaire parce qu’elle lui est assignée et qu’il choisit de ne pas la refuser – pas parce qu’il la cherche.
Atticus défend Tom dans Mockingbird parce qu’il le croit innocent, pas parce qu’il est un antiraciste engagé. Il ne se prononce pas contre la ségrégation, ni contre l’exclusion des Afro-Américains du jury. Son code moral signifie trop souvent « comprendre » les racistes comme l’horrible Mme Dubose, au point qu’il dit à Scout qu’il est faux de haïr qui que ce soiteven même Hitler.
Que l’Attique de Go ait mis en place un Guetteur, dans les années 1950, alors que le mouvement des droits civiques contestait la domination politique des ségrégationnistes, est raciste est choquant, mais pas totalement incohérent.
Dans Go Set a Watchman, le protagoniste est l’adulte Jean Louise Finch, dont le retour à Maycomb de New York est raconté à la troisième personne. La première moitié du roman raconte les particularités de la ville comme on le voit à travers les yeux de Jean Louise, désormais plus mondain, qui se souvient des étés avec Dill et Jem qui allaient devenir le cœur de Mockingbird.
Mais c’est la découverte de la littérature raciste appartenant à son père qui fournit le conflit central du roman, mettant à nu l’omniprésence de l’idéologie raciste à Maycomb, et l’impact de la réaction raciste du Sud contre le mouvement naissant des droits civiques après Brown v. Board of Education et les boycotts des bus de Montgomery.
Watchman est à son plus fort lorsqu’il explore le choc et la rage de l’adulte Jean Louise Finch en découvrant les idées racistes de son père et sa participation aux White Citizens’ Councils, un réseau de groupes suprémacistes blancs fondé dans les années 1950 pour s’opposer à l’intégration scolaire et défendre la ségrégation dans le Sud.
Le procès au cœur de Mockingbird n’est évoqué qu’en quelques paragraphes précisément pour donner au lecteur le contexte nécessaire pour comprendre pourquoi l’adulte Jean Louise est si surpris par le racisme au vitriol de l’ancien Atticus. C’est choquant pour la plupart des lecteurs américains qui, comme Scout, ont grandi avec une version idéalisée de son père, c’est précisément le point.
DE nombreux débats depuis la publication de Watchman ont porté sur la question de savoir si l’Attique du roman nouvellement publié ternit ou non l’image de son jeune moi littéraire ou ajoute à la complexité de son personnage. Mais en limitant la discussion au racisme d’Atticus, des aspects beaucoup plus troublants du roman ont reçu moins d’attention.
Si le roman était une exploration de la conscience contradictoire d’Atticus ou de son développement politique, ce serait un meilleur roman. Mais ce n’est pas le cas. En tant que lecteurs, nous n’avons pas plus de résolution à cette question que Scout.
Au lieu de cela, nous sommes soumis à une longue rationalisation de la ségrégation par son oncle Jack, que Kiese Laymon dans The Guardian appelle à juste titre « une Yoda suprémaciste blanche »– et à une fin profondément insatisfaisante dans laquelle Jean Louise déclare qu’elle « ne comprend pas les hommes » et « ne le fera jamais. »Ainsi, nous nous retrouvons à dénoncer Atticus le raciste sans plus de compréhension de son caractère ou de son racisme dans le Sud des années 1950.
Là où le roman laisse entrevoir une explication, c’est tout à fait troublant. Parfois, le roman semble suggérer que le racisme intense d’Atticus et d’autres membres des Conseils de citoyens est le résultat du mouvement des droits civiques – une idée qui bouleverse l’histoire.
Plutôt que de donner une vision des opprimés qui se soulèvent contre l’oppresseur pour briser la ségrégation de jure imposée par le sud de Jim Crow, les quelques aperçus fournis du mouvement des droits civiques pointent vers un mouvement qui a perturbé la paix et bouleversé l’équilibre du Maycomb fictifa une vision qui était précisément ce que Mockingbird a si puissamment détruit, montrant plutôt une communauté en proie à l’inégalité et raciste jusqu’au cœur.
Il convient de noter à cet égard qu’un changement crucial entre Go Set a Watchman et To Kill a Mockingbird est le résultat du procès de Tom Robinson (qui reste anonyme dans Watchman).
Dans Mockingbird, inspiré par des affaires historiques telles que celle des garçons de Scottsboro et l’échec à condamner les assassins d’Emmett Till, l’incapacité de la cour à fournir un semblant de justice constitue un moment charnière dans le développement de la conscience des enfants, alors qu’ils prennent conscience du racisme institutionnel sur lequel leur monde est construit et de l’hypocrisie totale au cœur des idéaux américains de liberté et de justice.
Dans Watchman, on nous dit qu’Atticus « a accompli ce qui n’avait jamais été fait avant ou après dans le comté de Maycomb » et a gagné l’affaire. Dans Mockingbird, malgré toutes les preuves, le jury rend un verdict de culpabilité, sans entrave par la vérité. Ce n’est donc pas seulement Atticus des années 1930 qui était une version plus gentille, plus douce et plus juste de son moi des années 1950, mais aussi les jurés du comté de Maycomb.
La nostalgie occasionnelle qui se manifeste dans le roman pour le Maycomb d’autrefois – un monde dans lequel, comme le rappelle Jean Louise, « les gens se faisaient confiance pour une raison quelconque » – est d’autant plus déroutante qu’elle semble être directement contredite par le roman lui-même.
En effet, dans Watchman comme dans Mockingbird, Harper Lee est à son meilleur lorsqu’elle décrit la moralité complexe et l’hypocrisie de la vie de petite ville dans le sud de Jim Crow. On nous présente, par exemple, les effets abrutissants de la répression sexuelle sur la jeune Scout, qui, à l’âge de 11 ans, croit à tort qu’un baiser forcé l’a rendue enceinte. Terrifiée à l’idée d’être renvoyée à Mobile et de faire honte à sa famille pour toujours, elle a failli se suicider.
En tant qu’adulte, il est rafraîchissant de voir que Jean Louise continue de se rebeller contre les idéaux de féminité des années 1950exposing exposant l’hypocrisie d’une ville qui s’énerve lorsqu’elle va nager avec son petit ami, mais ne montre aucune indignation face à la déshumanisation et à l’oppression routinières des personnes de couleur.
COMME DANS Mockingbird, Harper Lee a beaucoup moins de sensibilité et de perspicacité lorsqu’elle dépeint la communauté noire de Maycomb. Les quelques personnages noirs de Watchman sont au mieux unidimensionnels et virent parfois vers des stéréotypes racistes. La seule chose qu’on nous dit à propos du fils de Calpurnia, Zeebo, par exemple, est qu’il a divorcé cinq fois – ne s’étant marié que sur l’insistance de sa mère.
Dans une première scène du roman, Jean Louise observe ce que son petit ami décrit comme une » cargaison de Nègres » qui roulent trop vite car » C’est comme ça qu’ils s’affirment de nos jours. »Cela préfigure le moment « Tom Robinson » du roman lorsque le petit-fils de Calpurnia, un jeune homme à grand potentiel, a accidentellement renversé et tué un vieil homme blanc.
Une fois de plus, Atticus prend l’affaire en mainnotnon pas à cause de son grand engagement pour la justice, nous le découvrons, mais parce que le mieux est qu’il plaide coupable. Sinon, il pourrait « tomber entre de mauvaises mains »the les avocats payés par la NAACP qui, selon Atticus, « se tiennent comme des buses ici en attendant que de telles choses se produisent. »
Dans Watchman, comme dans Mockingbird, Calpurnia apparaît comme l’un des personnages les plus sympathiques et les plus puissants, mais elle existe principalement dans la mémoire de Jean Louise. La seule rencontre de l’adulte Jean Louise avec elle en révèle beaucoup sur les limites de la politique raciale du roman.
À juste titre horrifiée par les commentaires de son père sur le petit-fils de Calpurnia, Jean Louise va voir Calpurnia– mais pas pour l’informer de la situation et partager son indignation. Alors qu’elle propose de l’aider de toutes les manières possibles, l’altruisme de Jean Louise se transforme en narcissisme car elle sent une tension dans le présent qui semble étrangère, l’incitant à demander: « Nous avez-vous détestés? »
Le fait que ce soit la principale préoccupation de Jean Louise alors que le petit-fils de Calpurnia est sur le point d’être envoyé en prison reflète une myopie qui lui empêche de voir la réalité du racisme et de l’oppression, donnant un nouveau sens au « défaut visuel » auquel elle fait référence plus tôt: « elle est née daltonienne. »
En tant que New-yorkaise de retour dans sa ville natale du Sud, le statut d’outsider de Jean Louise est au moins en partie responsable de son aveuglement. Néanmoins, il semble étrange qu’avant d’être confrontée au racisme de son père, Jean Louise semble presque inconsciente des luttes historiques et monumentales pour les droits civiques qui se déroulent tout autour d’elle.
Au début d’une conversation, elle dit à Atticus qu’elle n’y a « pas prêté attention, à l’exception des grèves de bus et des affaires du Mississippi », notant que « le fait que l’État n’ait pas été condamné dans cette affaire était notre pire bévue depuis l’accusation de Pickett. »Il est peut-être révélateur que le nom d’Emmett Till n’est mentionné nulle part dans cette référence oblique à son meurtre et à l’affaire judiciaire qui a suivi.
Dans Watchman, Harper Lee est bien meilleure pour humaniser les bigots que les victimes du racisme. En effet, alors que le roman met en lumière les horreurs du racisme, l’accent est souvent mis sur la douleur que le racisme de son père cause à Jean Louise, et non sur les victimes réelles du racisme.
Alors qu’on a beaucoup parlé d’un Atticus terni, on a moins parlé du grand Jean Louise. Pour les lecteurs qui sont tombés amoureux de l’éclaireur rebelle de Mockingbirdwho qui a résisté à un lynchage (bien que sans le savoir); a failli être tué par le raciste Bob Ewell; et a remis en question l’hypocrisie de son professeur, se demandant comment on pouvait « haïr Hitler si mal » puis se retourner et être laid à propos des gens à la maison? » hardil est difficile d’imaginer qu’en tant qu’adulte, elle aurait peu de pensées sur le mouvement des droits civiques et n’aurait guère prêté attention aux Conseils de citoyens.
Le Scout adulte manque la plupart des traits qui ont rendu sa voix si puissante dans Mockingbird. Un roman sur la désillusion de Scout avec un père raciste serait beaucoup plus puissant s’il y avait un sentiment de son propre engagement pour les droits civils, ou même sa participation au mouvement.
Au lieu de cela, en colère et désabusée par sa nouvelle conscience du racisme d’Atticus, Jean Louise se couche. À la fin du roman, elle reste perturbée, mais s’efforce d’accepter sa famille raciste.
Tout en partageant des thèmes similaires, la leçon de Watchman est finalement loin de celle de Mockingbird. Comme le note Michiko Kakutani dans le New York Times:
L’une des lignes émotionnelles dans Mockingbird et Watchman est un plaidoyer pour l’empathieas comme Atticus le dit dans Mockingbird à Scout: « Vous ne comprenez jamais vraiment une personne tant que vous ne considérez pas les choses de son point de vue. »La différence est que Mockingbird a suggéré que nous devrions avoir de la compassion pour les étrangers comme Boo et Tom Robinson, tandis que Watchman nous demande d’avoir de la compréhension pour un bigot nommé Atticus.
L’héritage de Mockingbird a-t-il donc été irrémédiablement terni?
En partie, ce qui reste aimé dans le roman est sa représentation romancée d’Atticus comme un seul défenseur de la morale et de la justice, un personnage qui reflète une notion individualiste du changement et un universalisme moral et un pacifisme qui nient finalement l’action réelle des opprimés luttant pour leur propre libération.
En même temps, ce qui a rendu Mockingbird si puissant, c’est qu’il a mis à nu le racisme institutionnel qui empoisonnait tous les aspects de la vie dans des communautés comme Maycomb. Quelles que soient ses limites, au moment de sa publication en 1960, il a touché une corde sensible précisément parce qu’il était sans vergogne du côté du mouvement des droits civiques dans la lutte contre le racisme enraciné du sud de Jim Crow. C’est pourquoi l’auteur Chimamanda Adichie soutient que Lee écrit avec « une encre farouchement progressiste, dans laquelle il n’y a rien d’inévitable dans le racisme et son fondement même est sujet à interrogation. »
Bien que Watchman puisse être décevant, il convient de rappeler que ce n’est pas une suite. Il est mieux compris comme la première ébauche de ce qui deviendrait Mockingbird. En ce sens, cela nous donne un aperçu des motivations de Mockingbirdinspired inspiré, semble-t-il, de la tentative de Harper Lee de se réconcilier avec le racisme au vitriol de sa ville natale du Sud. Cela montre également à quel point le roman est fermement enraciné dans le mouvement des droits civiques.
Go Set a Watchman a été le point de départ de Harper Lee pour explorer ces thèmesnot pas son dernier mot. Si Atticus a été transformé dans le processus, il semble que ce soit Lee. Que Tuer un oiseau moqueur est une accusation beaucoup plus puissante du sud de Jim Crow n’est pas seulement une question littéraire. Cela en dit peut-être autant sur le développement du mouvement des droits civiques à la fin des années 1950 que sur le processus d’écriture de Harper Lee.
Malgré ses limites, To Kill a Mockingbird a joué un rôle important en exposant le racisme du sud de Jim Crow à un large public et en suscitant des conversations dans les salles de classe et au-delà pendant plus de cinq décennies.
Qu’il continue d’être lu dans les écoles que, 60 ans après Brown v. Conseil de l’éducation, rester ségrégué, avec plus de 53 pour cent des élèves noirs du Sud fréquentant des écoles dans lesquelles neuf élèves sur 10 sont des minorités raciales, et dans un pays où plus d’hommes noirs sont incarcérés aujourd’hui que ne l’étaient les esclaves en 1850, est un rappel de la pertinence de ses thèmes.
Si rien d’autre, les débats qui ont suivi la publication de Watchman servent à nous rappeler un héritage brutal du racisme, et son endurance – alors que le drapeau confédéré est abaissé 55 ans après la publication de Mockingbird – tout en soulignant simultanément l’urgence et la nécessité du nouveau mouvement des droits civiques qui a émergé sous la bannière de Black Lives Matter pour continuer la lutte pour la justice et l’égalité raciales.